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Terres d’espérances : Agriculture urbaine et Sœurs de la Charité, une étude exploratoire.

Créé par Riadh Mestiri, doctorat en géographie, Université Laval, Direction : Nathalie Gravel. Mikaël Scattolin, maîtrise en anthropologie, Université Laval. Direction : Manon Boulianne. | | Numéro 15, Automne 2018 | Dossier spécial

Le projet de dézonage des terres agricoles des Sœurs de la Charité, à Beauport, afin de construire un nouveau quartier résidentiel a suscité une forte opposition de la part de la société civile. Toutefois, une étude exploratoire semble indiquer que le développement et la préservation des terres peuvent être réalisés de manière complémentaire.

 

L’effet de nos modes de consommation et de nos décisions politiques sur l’environnement et les changements climatiques est aujourd’hui indéniable. Notre conception et vision de l’aménagement du territoire doit évoluer pour atteindre des objectifs de durabilité. Dans ce contexte, le cas des terres des Sœurs de la Charité situées à Beauport est devenu un emblème de la rencontre entre la ville et l’agriculture.
Il suffit de regarder sur une carte de la ville de Québec pour constater que ces terres agricoles sont entourées par le développement urbain. Cela risque néanmoins de changer d’ici quelques années. En effet, en 2014, le groupe Dallaire s’est porté acquéreur d’un terrain de près de 210 hectares appartenant à la communauté religieuse dans le but d’y installer un nouveau développement immobilier (1).
Ce développement ne fait toutefois pas l’unanimité. L’Union des Producteurs Agricoles, rejointe par différents groupes environnementalistes et communautaires ainsi que plusieurs comités de citoyens se sont mobilisés pour s’opposer au projet. Pour ces groupes, ces terres agricoles doivent garder leur vocation première et empiéter sur celles-ci serait dramatique au niveau environnemental, patrimonial et social (2). À cette vision de préservation s’opposerait une vision développementaliste qui soutient que ces terres agricoles ne servent à rien actuellement et seraient plus utiles sur le plan démographique et économique une fois transformées en biens immobiliers. Le but de cette courte analyse est donc de faire émerger les discours des différents acteurs impliqués dans l’agriculture urbaine à Québec concernant l’usage des terres des Sœurs de la Charité à Beauport.
Pour mieux comprendre la situation des terres agricoles en milieu urbain, nous avons jugé pertinent de questionner les organismes œuvrant en agriculture urbaine. Ce choix s’est basé sur la localisation des terres et des problématiques communes entre ce cas et les défis auxquels font face les protagonistes. Nous les avons ainsi questionnés sur ce qui caractérise pour eux l’agriculture en milieu urbain et sur les aspirations qu’ils avaient vis-à-vis de ce secteur. L’analyse des entrevues a fait ressortir l’agriculture urbaine comme un outil pour améliorer la qualité de vie en ville, tant sur le plan social qu’environnemental. En effet, ils mettent en avant les bénéfices sur la lutte contre les îlots de chaleur ou encore son apport à la préservation de la biodiversité. La vocation première de l’agriculture urbaine de fournir des aliments frais et de proximité est alors complémentaire et justifiée par ces autres bénéfices et fonctions. 
Néanmoins, l’agriculture urbaine fait face à des défis territoriaux, politiques et économiques qui peuvent ralentir son essor à Québec. Les entrevues ont ainsi fait ressortir une vision prééminente de l’aménagement du territoire dans laquelle seule la rentabilité économique, la valeur marchande d’un terrain, est prise en compte. Ceci a pour effet de limiter l’accès à la propriété, et donc à la terre, ce qui se traduit par un manque d’espace pour les agriculteurs urbains.
En cela, la vision qui rejoint la majorité de ces organismes est une conception différenciée du marché foncier. Ce dernier est vu et défini actuellement par ces acteurs comme favorisant la valeur d’échange des terres à la valeur d’usage. Ce qui revient à ce que la dimension économique soit le seul vecteur de valorisation du marché foncier. Lorsque l’agriculture urbaine porte principalement une valeur d’usage, elle est mise au second ordre face à d’autres types d’aménagement. D’où sa non-considération dans le marché foncier.
Pour corroborer cette conception du marché foncier, les acteurs de l’agriculture urbaine s’appuient sur la monétarisation d’un patrimoine commun, dans ce cas celui des terres des Sœurs de la Charité. Mais la seule prise en compte de l’aspect monétaire dans le marché foncier et dans le prix des terres agricoles revient à nier la valeur des services écosystémiques reliés à l’agriculture urbaine (préservation de la biodiversité, amélioration de la qualité de vie, réduction des îlots de chaleur, etc.). Dans cette conception du marché foncier, le sol n’est rien de plus qu’un simple support urbanistique. Pourtant, cette vision ne devrait pas nécessairement être mise en opposition avec la volonté de protection des terres agricoles. L’agriculture urbaine, pour ses pratiquants, ne devrait pas nécessairement être en opposition au développement urbain, mais plutôt être un corollaire permanent de ce développement.
Certains acteurs du milieu proposent donc une conception intégrée du marché foncier qui permette de préserver et de valoriser les terres des Sœurs de la Charité tout en permettant un développement immobilier. Une conception qui mettrait en avant une complémentarité entre valeur d’échange et valeur d’usage. Les milieux verts et le développement immobilier iraient alors de pair pour une création de valeur ajoutée au territoire. Cette conception rejoint une vision de développement durable des villes et non uniquement un bénéfice économique à court terme au détriment des autres aspects. Elle se définirait, par exemple, sous la forme de micro-quartier suivant des normes écoresponsables de bâtiments ; de fermes urbaines intégrées à un quartier dense ; où le vivre ensemble serait au centre des décisions et où les enjeux environnementaux et de santé seraient respectés. Ainsi, par une alimentation de produits frais de proximité et un usage intelligent et multifonctionnel de l’espace, le développement urbain et la préservation des terres pourraient très bien aller de pair. 


Références :

(1) Gaudreau, V., 2015. Terres des Sœurs de la Charité : il faut dézoner, réitère Labeaume. Le Soleil, 19 Janvier, consulté sur Internet : www.lapresse.ca/le-soleil/affaires/agro-alimentaire/201501/19/01-4836627-terres-des-soeurs-de-la-charite-il-faut-dezoner-reitere-labeaume.php
(2) Lavoie, M-A., 2016. Des producteurs dénoncent la perte de terres agricoles au profit de l’urbanisation. Société Radio-Canada, 17 juillet, consulté sur Internet : ici.radio-canada.ca/nouvelle/792117/producteurs-agricoles-denoncent-pertes-terresagglomeration-quebec-urbanisation

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