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Les probiotiques pour contrer l’interaction pesticide-microbiote chez l'abeille domestique

Créé par Sarah El Khoury, Doctorante en Biologie, Faculté des Sciences et Génie. Direction : Nicolas Derome, codirection : Pierre Giovenazzo. | | Numéro 15, Automne 2018 | Varia

Actuellement, le statut sanitaire de l’abeille mellifère (abeille domestique) est l’une des préoccupations environnementales majeures discutées mondialement. Le développement de formulations probiotiques bactériennes endogènes de l’abeille permettra de restaurer les fonctions clés du microbiote intestinal de l’abeille perturbé par les pesticides néonicotinoïdes.

 

Compte tenu des mortalités importantes dans les ruchers à l’échelle mondiale, le statut sanitaire de l’abeille mellifère est une préoccupation majeure. En plus d’éblouir nos papilles gustatives, ces insectes sociaux entretiennent avec les plantes des relations symbiotiques qui profitent aux deux parties : les abeilles assurent la pollinisation et reçoivent le nectar en retour. Les abeilles ont donc un rôle important sur le plan écologique, agricole et économique (1). Toutefois, depuis la révolution industrielle, les systèmes de production agricoles ont radicalement changé et impliquent aujourd’hui une utilisation importante de pesticides et d'engrais. Ces techniques mènent à un appauvrissement de la diversité végétale, à une diminution des sources de pollen essentielles pour la nutrition des abeilles et donc à un stress nutritionnel affectant le système immunitaire des abeilles. De plus, la synergie entre différents facteurs (agents pathogènes, xénobiotiques, etc.) est également suspectée de causer un affaiblissement immunitaire et donc de favoriser des infections par des agents pathogènes opportunistes (2).
Or, la performance du système immunitaire de l’abeille dépend majoritairement des fonctions de sa flore intestinale, appelé microbiote. Aussi, le stress physiologique provoque une perturbation (appelée dysbiose) du microbiote de l’abeille au détriment de fonctions microbiennes bénéfiques, et à la faveur d’espèces pathogènes. Mais qu’est-ce que le microbiote et le phénomène de dysbiose ? Le microbiote intestinal, également connu sous le nom de flore intestinale, représente l’ensemble des micro-organismes vivants qui cohabitent dans l’intestin de son organisme hôte. Une interaction mutualiste symbiotique existe entre l’abeille (hôte) et les microorganismes constituant sa flore intestinale. L’hôte procure au microbiote un habitat stable et riche en éléments nutritifs. Le microbiote confère des bénéfices à son hôte, en jouant un rôle important dans le métabolisme (assimilation des nutriments, production de vitamines, etc.) et sur le plan immunitaire, en synthétisant des substances anti-microbiennes et en excluant des souches pathogènes par compétition. En bonne santé, l’hôte s’acclimate aux variations environnementales, dans ce cas on parle d’état d’eubiose. C'est-à-dire que les relations à bénéfices réciproques entre l’hôte et son microbiote sont stables. Tandis que lorsqu’on parle d’état de dysbiose, ces interactions hôte-microbiote sont perturbées, ce qui rend les abeilles vulnérables aux variations environnementales. La perte de symbiotes clés du microbiote intestinal facilite l’activité d’agents pathogènes et le déclenchement d’infections (3).
La dysbiose intestinale contribuerait significativement au déclin des colonies d’abeilles. Il a été démontré que le microbiote intestinal peut être considéré comme un organe à part entière, et que sa santé influence la santé de l’hôte (4). Il est donc essentiel d’identifier les facteurs qui contrôlent l’état du microbiote et de comprendre leur mécanisme pour développer des stratégies thérapeutiques innovantes et durables. Actuellement, dans les agroécosystèmes modernes, l'homéostasie physiologique de l’abeille est déstabilisée d’une part par l’action bactéricide des antibiotiques et d’autre part par des facteurs de stress tels que l’utilisation de pesticides. Trois principaux insecticides de la classe des néonicotinoïdes sont interdits d’utilisation en Europe. Pourtant, l’Europe vient récemment d’autoriser sur le marché l’utilisation d’un nouvel insecticide systémique, le Sulfoxaflor. Ce pesticide a une action neurotoxique, responsable de la destruction du système nerveux des insectes. Les écologistes du Canada souhaitent également l’interdiction de néonicotinoïdes, mais aucune législation n’a encore été formellement mise en place. Si l’application des pesticides dans l’environnement est motivée par une volonté de garantir un rendement économique élevé, le coût environnemental et sanitaire de cette approche est plus que préoccupant. De plus, malgré l’interdiction de certains pesticides, leur persistance dans l’environnement reste extrêmement alarmante. 
Des méthodes alternatives et durables doivent être mises en place dans l’immédiat afin de briser ce cercle vicieux d’utilisation/interdiction de pesticides, responsable de la destruction de notre biodiversité, de la détérioration irrémédiable de la santé de l’homme et de son environnement. L'approche probiotique répond à cette exigence. Mon projet de doctorat consiste à réaliser des expériences en conditions contrôlées, pour étudier l’impact de néonicotinoïdes sur l’homéostasie du microbiote intestinal de l’abeille. Des souches bactériennes à caractères probiotiques  ont été isolées du tractus intestinal de l’abeille pour mesurer leur tolérance vis-à-vis de molécule de néonicotinoïdes en conditions in vitro. Le but étant d’identifier des candidats probiotiques capables de croître en contact avec le pesticide, et de dégrader la molécule toxique en molécule moins toxique et/ou de restaurer les fonctions homéostatiques importantes du microbiote intestinal d’abeilles exposées à des pesticides. Ce projet permettra de mesurer le potentiel de restauration d’un déséquilibre intestinal de l’abeille, avec notre formulation probiotique, en contexte agro-environnemental ; et apportera une meilleure compréhension des interactions fonctionnelles du système abeille-microbiote chez l’Abeille mellifère. À terme, mon projet proposera deux livrables : (a) un outil de bio-surveillance des colonies d’abeilles basé sur des biomarqueurs microbiens sensibles à l’exposition des doses létales/sous-létales de molécules d’insecticides ; (b) Une formulation probiotique composée de bactéries de l’abeille qui aide à restaurer les propriétés métaboliques et protectrices importantes du microbiote de l’abeille dans un contexte d’exposition aux pesticides. À long terme, nous pourrons mettre en place des plans de gestion durables et des solutions alternatives, afin d'améliorer la santé des colonies d’abeilles par des formulations de bactéries probiotiques qui pourront être utilisées à titre curatif et/ou préventif en apiculture. 


Références :

(1) Klein, S., et al., 2017. Why bees are so vulnerable to environmental stressors. Trends in Ecology and Evolution, 32, 268-278.
(2) Di Prisco, G., et al., 2013. Neonicotinoid clothianidin adversely affects insect immunity and promotes replication of a viral pathogen in honey bees. Proceedings of the National Academy of Sciences, 110(46), 18466-18471.
(3) Moran N. et Raymann K., 2018. The role of the gut microbiome in health and disease of adult honey bee workers, Current Opinion In Insect Science, 26, 97-104.
(4) Guinane C.M. and Cotter P.D., 2013. Role of the gut microbiota in health and chronic gastrointestinal disease: understanding a hidden metabolic organ. Therapeutic Advances in Gastroenterology, 6, 295–308.
 

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