Le Saint-Laurent : comment évaluer l’empreinte humaine dans un système complexe ?

Créé par Charlotte Carrier-Belleau, David Beauchesne, Elliot Dreujou et Laurie Isabel | | Numéro 17, Automne 2019

Du flot des Grands Lacs jusqu’aux frontières de l’Atlantique, le Saint-Laurent joue un rôle inestimable dans la vie de la population qui borde ses rives. Cependant, les pressions environnementales découlant des activités anthropiques se multiplient, posant un énorme défi nécessitant de nouvelles approches et techniques adaptées à une complexité grandissante.

Le Saint-Laurent, composé d’un fleuve, d’un estuaire et d’un golfe, est un système complexe lorsqu’on considère ses caractéristiques environnementales, ses processus océanographiques, ainsi que son portrait écologique et socio-économique (1). Cet écosystème est caractérisé par un ensemble d’habitats diversifiés englobant une richesse d’espèces et de communautés marines (2). Le Saint-Laurent fournit un nombre important de services (p. ex. voie de transport maritime, fonctions de recyclage et de régularisation, ressources naturelles, patrimoine socioculturel, etc.) et participe au développement économique canadien (3).

Cependant, l’intensification de l’empreinte humaine, à travers les différentes activités du Saint-Laurent, entraîne d’importants changements sur la structure des communautés marines (4). Le développement de zones industrialo-portuaires, qui est en plein essor, représente un facteur majeur (5) et occasionne des pressions sur les systèmes adjacents, notamment des rejets d’eaux usées, des déversements accidentels d’hydrocarbures, ainsi que des apports d’éléments nutritifs (6).

Activités locales et pressions sur la biodiversité

Pour mieux comprendre l’effet des activités anthropiques sur les écosystèmes adjacents, les études écologiques s’intéressent fréquemment à détecter la présence d’influences d’origine humaine dans ces écosystèmes. Pour ce faire, plusieurs paramètres de « santé » d’un écosystème peuvent être utilisés; le nombre d’espèces présentes est l’un des plus communs. Un exemple dans le Saint-Laurent peut être celui de la baie des Sept Îles. Des zones à proximité de ports industriels (zones anthropisées) ont été comparées à des zones en dehors de la baie (zones de référence). Les membres de l’équipe du laboratoire benthique du professeur Archambault ont détecté un nombre supérieur d’espèces benthiques (organismes vivant dans les fonds) en zone anthropisée qu’en zone de référence (21 et 11 respectivement). Ce résultat est relativement contre-intuitif si l’on se base sur le principe généralement admis qui stipule que plus il y a d’espèces, meilleure est la santé du milieu (7).

De cette manière, ce résultat montre bien qu’il est inadéquat d’étudier une communauté biologique complexe en ne considérant qu’un seul indicateur (nombre d’espèces). Il est donc impératif d’utiliser des analyses multivariées calculant des similarités au sein de communautés biologiques. À Sept-Îles, ces analyses ont démontré que, prises dans leur globalité, les communautés benthiques des zones anthropisées et de références étaient différentes. L’espèce la plus abondante en milieux anthropisés était une espèce opportuniste : le vers annélide Micronephtys neotena, alors que les milieux non anthropisés étaient dominés par une espèce sensible aux perturbations : le bivalve Spisula solidissima. Ainsi, nous avons constaté que les activités humaines favorisent l’établissement d’espèces tolérantes aux perturbations, ce qui expliquerait l’augmentation du nombre d’espèces en zones anthropisées.

Caractériser l’ensemble du Saint-Laurent

Pour mieux comprendre l’impact des pressions environnementales d’origine humaine sur les communautés marines, il est nécessaire d’identifier et de caractériser l’intensité de ces pressions tout en tenant compte de leur potentiel d’interaction. De tels efforts ont permis récemment de cartographier l’intensité du chevauchement spatial des pressions environnementales (Fig.1). Ces résultats ont identifié les zones particulièrement exposées à de multiples pressions, ce qui permet de déterminer les communautés les plus à risque. D’autres analyses ont permis de distinguer quatre communautés benthiques dans le Saint-Laurent maritime qui se distinguent par leur composition en espèces et par l’abondance de chacune d’entre elles (Fig.1). Différentes pressions caractérisent ces quatre communautés et pourraient expliquer les divergences de composition en espèce. La première communauté avec l’hypoxie (diminution du taux d’oxygène), l’acidification (diminution du pH) et le transport maritime comme pressions dominantes s’est avérée être la plus affectée. L’état de la deuxième communauté s’apparente à la première, avec toutefois comme pression dominante des anomalies de températures. À l’inverse, les troisième et quatrième communautés, caractérisées par les pêcheries, sont globalement celles où les intensités de pressions sont les plus faibles.

 

Figure 1 : Caractérisation des communautés benthiques et des pressions environnementales dans le Saint-Laurent.

En définitive, saisir la complexité d’un écosystème comme celui du Saint-Laurent nécessite un ensemble d’expertises et d’approches. Effectivement, certaines études ont cherché à caractériser les impacts de multiples pressions d’origine humaine, à différentes échelles biologiques, en intégrant des approches écologiques et physiologiques. Ces approches intégratives, jumelées à l’acquisition de données environnementales, issues d’observatoires en direct, aux caractérisations locales et régionales de pressions environnementales et de biodiversité, permettront de mieux appréhender l’ensemble de cet écosystème en vue d’une gestion améliorée.


Références :

(1) Dufour, R. et Ouellet, P., 2007. Rapport d’aperçu et d’évaluation de l’écosystème marin de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent. Rapport technique canadien des sciences halieutiques et aquatiques 2744F, vii + 123 p.
(2) Archambault, P., Snelgrove, P.V.R., Fisher J.A.D., Gagnon., J-M., Garbary, D.J., Harvey, et collab., 2010. From Sea to Sea: Canada’s Three Oceans of Biodiversity. PLoS ONE, 5 (8), e12182.
(3) Archambault, P., Schloss, IR., Grant, C., Plante, S., 2017. Les hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent — Enjeux sociaux, économiques et environnementaux. Notre Golfe, Rimouski, Qc, Canada, 324 p. 
(4) Worm, B., Barbier, E.B., Beaumont, N., Duffy, J.E., Folke, C., Halpern, B.S., Jackson, J.B.C., Lotze, H.K., Micheli, F., Palumbi, S.R., Sala, E., Selkoe, K.A., Stachowicz, J.J. et Watson, R., 2006. Impacts of biodiversity loss on ocean ecosystem services. Science, 314 (5800), 787–790. 
(5) Stratégie maritime, 2016. Développer des zones industrialo-portuaires [en ligne]. Transports Québec — Stratégie maritime. strategiemaritime.gouv.qc.ca/grandes-orientations/economie/!/developper-des-zones-industrialo-portuaires-afin-dameliorer-la-competitivite-de-nos-entreprises/ [consulté le 26 juillet 2019].
(6) Beauchesne, D., Grant, C., Gravel, D., Archambault, P., 2016. L’évaluation des impacts cumulés dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent : vers une planification systémique de l’exploitation des ressources. Le Naturaliste Canadien, 140 (2), 45-55. 
(7) European Commission, 2019. Good Environmental Status – Biodiversity [en ligne]. European Commission. ec.europa.eu/environment/marine/good-environmental-status/descriptor-1/index_en.htm [consulté le 22 août 2019].


* Auteurs :

Charlotte Carrier-Belleau, Doctorat en biologie, Direction : Philippe Archambault
David Beauchesne, Doctorat en océanographie, Université du Québec à Rimouski, Direction : Philippe Archambault
Elliot Dreujou, Doctorat en océanographie, Université du Québec à Rimouski, Direction : Philippe Archambault
Laurie Isabel, Maîtrise en biologie,  Direction : Philippe Archambault

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